Les facteurs qui interviennent lors de la décision de produire à l’étranger sont nombreuses et diverses. Les problèmes monétaires que rencontre l’entreprise dans ses relations internationales interviennent presque toujours, ils sont parfois déterminants.
L’influence des problèmes monétaires sur les décisions de localisation des activités de l’entreprise
Les problèmes monétaires
Deux problèmes monétaires doivent être distingués : la fluctuation des taux de change et l’inconvertibilité d’une ou plusieurs monnaies. Dans chaque cas la localisation des activités n’est qu’une solution parmi d’autres, d’ailleurs la plupart des petites entreprises ne peuvent avoir recours à la création d’une unité de production à l’étranger. Cependant c’est souvent une solution élégante et efficace.
l’inconvertibilité de la monnaie
Commençons par l’inconvertibilité de la monnaie. Une entreprise veut vendre sur un marché dont la monnaie n’est pas convertible. Si elle choisit d’exporter elle sera payée dans une monnaie dont elle ne saura que faire. Elle est alors obligée d’acheter sur place des produits pour les vendre sur son territoire d’origine ou sur des marchés tiers. Cette solution est moins facile qu’il y parait.
Les matières premières sont souvent exclues par la législation du pays visé. On voit mal l’Algérie consentir que Renault puisse acheter du pétrole algérien avec de la monnaie algérienne. Les seuls produits achetables risquent fort d’être ceux que le pays a du mal à vendre lui-même. De plus dans la grande majorité des cas l’exportation est restreinte en direction du pays d’origine de l’entreprise.
Cette solution n’est pas bonne pour une autre raison : le producteur-exportateur va se transformer en importateur d’un produit qu’il connaît mal. Ainsi dans les années 70 Renault avait accepté de la monnaie brésilienne pour ses exportations de voitures. Il avait acheté en échange du café qu’il ne pouvait vendre qu’en France. Mais les torréfacteurs français n’avaient aucune raison de lui acheter son café, sauf à obtenir des prix cassés. En conséquence Renault s’est fait torréfacteur ! Cette activité a toujours été déficitaire. En 1985, lorsque G.Besse prendra les rênes de la Régie il vendra cette filiale qui n’aurait jamais dû exister.
Solution de produire sur place
L’autre solution dans la mesure où le pays visé l’autorise et où l’environnement économicopolitique le permet, consiste à produire sur place afin de maximiser la proportion des facteurs payable en monnaie locale. Cette proportion ne peut évidemment jamais atteindre l’unité puisque l’entreprise veut gagner de l’argent. De plus des raisons de coût font qu’une partie des éléments du produit doit être produite par la société-mère.
Comment récupérer tous ces éléments en devises convertibles ?
La société doit réexporter vers des pays à monnaie convertible une proportion au moins égale à la part des facteurs importés dans le pays visé. Cette importation ne pose pas du tout les mêmes problèmes que la solution précédente dans la mesure où l’entreprise reste sur son marché et dans son métier. Cette méthode est employée par les constructeurs automobiles qui veulent pénétrer les marchés des pays à économie planifiée et/ou en voie de développement.
Renault construit en Slovénie des Renault 4 pour le marché local ainsi que pour les autres pays européens hors Union européenne, il y fabrique aussi des modèles plus récents qui sont exportés vers l’Italie et le sud-est de la France. Ljubljana est plus près de Nice ou de Toulon que ne l’est Flins ou Sandouville.
Les contraintes monétaires
Cette solution supporte aussi des contraintes puisqu’il faut prévoir la réexportation d’une partie de la production. Si le coût de la main d’œuvre est sensiblement moins élevé que dans le pays d’origine on peut penser que l’opération est gagnante pour l’entreprise. Ce n’est pas certain parce que la croissance des rendements d’échelle jusqu’à un certain niveau de production est observable dans de nombreux secteurs industriels. Multiplier les implantations fait perdre un bénéfice important en la matière. Cette multiplication alourdit aussi les tâches de coordination entre les diverses unités de production.
Ces coûts expliquent pourquoi les industriels de l’automobile ne se précipitent jamais très nombreux dans un pays dont la monnaie n’est pas convertible. Ainsi dans des pays pourtant de taille respectable comme l’Argentine ou le Brésil les grands constructeurs ne sont généralement présents que dans un seul pays ce qui fait qu’il n’y a guère que deux ou trois constructeurs par pays. Parfois on voit une filiale de Peugeot monter des voitures Renault ou Volkswagen ! C’est dire que la concurrence n’est pas très vive. En revanche la création de marchés communs régionaux change le paysage. Ainsi la création du Mercasur (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) permet à chaque constructeur d’envisager une véritable production locale à une échelle économiquement viable.
L’autre contrainte à prendre en compte est la menace de spoliation que les autorités publiques locales font peser sur ces implantations. Cette menace est moins réelle lorsque une partie notable de la production est réexportée mais il convient d’être prudent en la matière. Le développement d’une grande entreprise ne passe pas que par une maximisation de la part de marché au niveau mondial. Il vaut mieux avoir un taux plus faible mais être fort sur les marchés à monnaie convertible.
De toute façon les choix de standard d’utilisation se feront dans ces pays et non pas dans les pays « inférieurs » d’une manière ou d’une autre. A preuve, lorsqu’au milieu des années soixante la France a convaincu les pays du bloc communiste d’adopter le SECAM la part de marché de ce standard s’est brusquement accrue mais cela n’a servi à rien puisque ces pays n’étaient guère acheteurs de matériels coûteux.
Le second problème monétaire auquel doit faire face l’entreprise est la fluctuation des taux de change.
Pour les produits qui font l’objet d’une concurrence « homogène » c’est-à-dire ceux qui ne nécessitent pas la mise en place d’un service après-vente et dont les clients ne sont pas attachés à un fournisseur particulier il n’y a rien à faire contre ces fluctuations des taux dans la mesure où un prix mondial unique s’établit en la monnaie dominante. A chaque producteur de s’arranger pour que ses coûts ne dépassent pas ces prix. Comme il s’agit souvent de ressources naturelles ou de denrées la localisation des activités est généralement contrainte par la géologie ou le climat.
S’il s’agit de produits manufacturés (la concurrence hétérogène) la stabilité de la vente sur un marché est un atout important de séduction des acheteurs. L’instabilité des taux de change est un casse-tête pour l’entreprise puisque les prix auxquels elle peut vendre sont tantôt très rémunérateurs tantôt insuffisants. Comment se prémunir contre de tels risques ?
La première solution à envisager est la couverture à terme.
Deux méthodes sont utilisables en France. D’abord le recours au marché des changes à terme. L’entreprise trouve quelqu’un qui est prêt à lui fournir une quantité certaine de francs contre le montant de la devise étrangère qu’elle espère obtenir de la vente de ses produits. Il y a peu de chance que ce quelqu’un soit une entreprise étrangère qui ait le même problème mais en sens inverse. En effet pour que l’opération se fasse il faut que les montants et les termes correspondent. Il faut de plus que les deux entreprises se connaissent et se fassent confiance.
Donc le quelqu’un sera en réalité un spéculateur. Ce type d’opérateur a généralement horreur de s’engager pour de longues périodes. Le marché des changes est donc une solution envisageable pour des termes courts. beaucoup moins pour le moyen terme et pas du tout pour le long terme.
Solution des commissions de la garantie de change
Ensuite il y a solution COFACE, c’est l’obtention moyennant commission, d’une garantie de change. Les périodes peuvent alors atteindre plusieurs années. Toutes les fois qu’une entreprise signe un contrat de fourniture de matériel s’étalant sur plusieurs années et dont le prix n’est pas libellé en francs, ce recours est systématique. Car L’entreprise industrielle n’a pas à courir le risque de travailler à perte, elle n’a pas non plus vocation à se transformer en entreprise financière spéculant sur l’évolution future des monnaies.
produire en multinationale
Lorsque le terme est si long qu’il devient indéfini une autre solution peut être mise en œuvre :
produire dans plusieurs pays alors même qu’aucune raison fondée sur une différence de coûts de production ne peut être avancée. C’est en quelque sorte l’achat d’une conjoncture moyenne. Cette solution est envisageable lorsque l’entreprise produit de nombreux produits ou lorsque le produit qu’elle vend se compose de multiples éléments qui peuvent être produits à différents endroits. Dans les deux cas les unités de production respectent la condition de taille suffisante pour atteindre la zone de rendements constants.
Cette solution est particulièrement recommandable pour d’autres raisons dès l’instant où l’entreprise atteint une grande taille. D’abord cette importance crée à l’intérieur du pays d’origine des sentiments ambigus : admiration et fierté de la réussite d’un champion national, envie et volonté de s’approprier le profit organisationnel de l’entreprise.
Cette rapacité est le fait des pouvoirs publics, des syndicats et des cadres dirigeants de la société. L’internationalisation marque une borne à ces pressions, au moins à celles des syndicats et des pouvoirs publics. Certes on pourrait dire que le poids de la direction se trouve renforcé. Collectivement c’est vrai mais au niveau individuel ce l’est moins dans la mesure où l’internationalisation se traduit aussi par l’embauche de hauts cadres d’autres pays formés dans d’autres systèmes universitaires. Ensuite la présence d’unités de production dans des pays étrangers satisfait les pouvoirs publics de ces pays. Cela les empêche de se montrer trop arbitraires à l’égard des productions de cette entreprise.
En général
La prise en compte des problèmes monétaires ne conduit donc pas nécessairement à produire à l’étranger. On a vu qu’il existe d’autres solutions pour les résoudre. Mais dès l’instant où l’entreprise est d’une taille suffisante des implantations productives à l’étranger se révèlent souvent une solution intéressante à la condition de bien apprécier les risques et les avantages.
Au risque de se répéter rappelons qu’il vaut mieux renoncer à vendre sur un marché peu important ou peu développé que de vouloir à toute force être présent partout. A ce propos les arguments sur l’immensité de certains marchés sont absurdes.
Je pense en particulier au marché chinois. Son immensité même fait que l’acheteur est en position de force, et pour l’entreprise ce qui compte ce sont les commandes qui seront payées en devises or ceci n’a rien à voir avec le nombre d’habitants mais avec les capacités du pays à exporter.